Les Echos Série Limitée

Art : Paris fait son big bang

Les Echos Série Limitée le 10 Octobre 2014

Par Martine Robert

Agenda artistique chargé pour la capitale fin octobre : inauguration VIP de la Fondation Louis Vuitton le 20, première déclinaison off de la Fiac à la Cité de la mode et du design le 21, puis foire elle-même au Grand Palais le 22, vernissages du musée Picasso et des salons de la Monnaie de Paris le 23... Paris reprend la main.

La capitale en ébullition, s'apprête à recevoir le microcosme mondial de l'art. « Oui, cette rentrée sera exceptionnelle, par sa concentration d'événements. La Fiac au Grand Palais conforte sa position au plus haut niveau, marquée par la création d'une foire off à la Cité de la mode et du design. L'inauguration au bois de Boulogne de la Fondation Louis Vuitton [groupe LVMH, propriétaire des Échos] est très attendue, de même que les réouvertures du musée Picasso, dans le Marais, fermé depuis cinq ans, et des salons d'apparat de la Monnaie de Paris le long des quais », énumère Frédéric Morel, conseiller en art. Sans compter la multiplication d'expositions d'envergure, publiques ou privées. « C'est une année faste pour Paris, une fête de l'art contemporain qui va battre tous les records, le point d'orgue de tout ce qu'il y a de mieux sur le marché mondial de l'art », confirme l'art advisor Laurence Dreyfus, qui exposera elle-même ses coups de coeur à La Réserve, un lieu d'exception face au Trocadéro. « Que Paris devienne le centre du monde de l'art, ne serait-ce que quelques semaines, est magnifique, estime le consultant spécialisé Thierry Consigny. Dans le domaine de l'art, qui est tout sauf marginal, la France compte toujours beaucoup. Face à l'absence de croissance, la beauté est un moteur de développement sur lequel il faut investir. »

Il en est d'ailleurs ainsi dans l'hôtellerie. L'offre de palaces a récemment été étoffée avec, par exemple, des suites à plus de 20000 euros la nuit au Peninsula et un Plaza Athénée embelli au terme de 100 millions d'euros de travaux : de quoi séduire les milliardaires les plus exigeants de la planète. À la Monnaie de Paris, l'enfilade des salons du xviiie siècle entièrement rénovés abritera désormais des expositions d'art contemporain mais aussi le restaurant gastronomique de Guy Savoy. « Ces beaux endroits renforcent l'attractivité touristique de Paris auprès d'une clientèle internationale qui y séjourne plus régulièrement. Ces étrangers aisés découvrent ainsi les joyaux des arts décoratifs français, qu'ils marient ensuite à des oeuvres contemporaines », se félicite Laurent Kraemer, antiquaire. Cet expert en mobilier français du xviii e siècle, apprécié de Singapour à Shanghai, se réjouit que le château de Versailles braque cet automne les projecteurs sur ce mobilier avec l'exposition « Le xviii e, aux sources du design. Chefs-d'oeuvre du mobilier 1650 à 1790 », au moment où des décorateurs célèbres comme Peter Marino, Jacques Garcia ou Jacques Grange revisitent cette période. Il espère beaucoup des acheteurs asiatiques qui feront le déplacement à Paris en ce mois d'octobre, et il n'est pas le seul. « La Fiac acquiert de plus en plus de visibilité en Asie où les collectionneurs la préfèrent désormais à la Frieze de Londres. En outre, les Chinois se mettent à collectionner l'art occidental depuis un an et demi de manière significative. Et ils attendent impatiemment la Fondation Louis Vuitton, car la marque est très prisée sur ce continent », souligne Jean-Marc Decrop, un spécialiste de l'art chinois basé en Asie. Ainsi, un groupe de 250 jeunes collectionneurs très fortunés de Pékin, Shanghai et Hongkong, emmené par le tycoon Adrian Cheng, héritier du groupe New World, vient spécialement pour la Fiac et des événements connexes, comme un dîner chic en compagnie d'experts, donné chez Monsieur Bleu au Palais de Tokyo. Ce club baptisé The New Circle a passé avec le président de l'institution, Jean de Loisy, un accord de sponsoring pour financer l'exposition de cinq artistes chinois à Paris. Cette nouvelle génération, qui dépense sans vraiment avoir à compter, pourrait faire le bonheur des 134 galeristes de la Foire mais également des maisons de vente parisiennes.

Chez Christie's, on profite de cette manne d'amateurs d'art pour organiser une vente d'art impressionniste et moderne mais aussi pour présenter la collection contemporaine de 200 pièces du Suédois William Peppler. « Tout comme l'ouverture des nouvelles salles xviiie du Louvre en 2013, l'inauguration du musée Picasso, dont le nom est magique en Chine, suscite l'intérêt de nombre de nos clients; d'autres se préparent déjà pour la Fiac. À cela s'ajoute la magie de Paris », souligne François Curiel, vice-président-directeur-général du groupe, basé à Hongkong. Avec treize nouvelles salles et une surface d'exposition doublée, le musée Picasso, dont la collection de 5000 oeuvres est unique au monde, devrait tenir ses promesses. Même engouement outre-Manche. « Nos collectionneurs attendent avec impatience ces événements. Nombreux sont ceux qui trouvent la Fiac très solide, avec un bon équilibre entre les artistes établis et ceux à découvrir », remarque Aline Sylla-Walbaum, directrice du pôle luxe de Christie's, installée à Londres. Guillaume Cerutti, PDG de Sotheby's France et d'Europe continentale, mise quant à lui sur « une semaine très active dans la capitale, avec beaucoup d'étrangers ». Il expose ses chefs-d'oeuvre des ventes d'automne en art moderne et contemporain, et monte une vente d'orientalisme. Du côté des galeries, l'optimisme règne également. « Depuis trois ou quatre ans, la Fiac s'est développée sur le plan international et fait de l'ombre à Frieze; cela est accentué par le fait que Paris a regagné en attractivité avec ses palaces. Les exposants jouent le jeu et montrent le meilleur aux collectionneurs du monde entier réunis. D'autant que cette année, l'ouverture de la Fondation Louis Vuitton, dessinée par Franck Gehry, a un retentissement mondial. Entre les dîners de la Fiac, du musée d'Art moderne de la Ville de Paris, de la Monnaie de Paris, du musée Picasso, etc., les VIP vont courir de soirée en soirée! », observe Nathalie Obadia qui a choisi d'exposer des artistes au rayonnement international, tels Zarkis à la Fiac, représentant la Turquie à la prochaine Biennale de Venise, ou encore Laure Prouvost dans sa galerie, lauréate du Turner Prize l'an passé.

C'est justement un autre concours réputé, le prix Marcel-Duchamp, qui organise lui aussi un dîner de gala sous les ors de l'hôtel Dassault, sur les Champs-Élysées, pendant la Fiac, à l'initiative de l'Association pour la diffusion internationale de l'art français (Adiaf), club de collectionneurs français. Et son président Gilles Fuchs, ancien patron de Givenchy, ne cache pas son enthousiasme : « La vitalité artistique de Paris est remarquable. Les institutions publiques et les fondations privées, telles que Cartier, Guerlain, Ricard ou la Maison Rouge, sont très actives. La Fondation Louis Vuitton, à l'ambition et aux moyens «illimités», animée par l'oeil exceptionnel de sa directrice artistique Suzanne Pagé, va dynamiser encore plus la place. Cette effervescence attire le ban et l'arrière-ban du monde de l'art, y compris ceux qui ne venaient plus si souvent à Paris; cela donnera une meilleure visibilité à la scène française! »

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