Art contemporain

Un premier semestre éclatant

Le Journal des Arts - n° 439 - 3 juillet 2015

L’art contemporain a poursuivi sa progression fulgurante marquée par des résultats de ventes à New York encore plus spectaculaires. Mais le marché se concentre sur un nombre restreint d’artistes.

NEW YORK, LONDRES, PARIS - Au cours de ce premier semestre 2015, l’art contemporain a allègrement poursuivi sa folle course en avant. Tous les voyants restent au vert avec des résultats en hausse à Londres, New York et Paris. La capitale britannique a débuté la partie : avec un produit d’adjudication de Sotheby’s et Christie’s cumulé de 240,3 millions de livres sterling (323 millions d’euros), la session de février a fait un bond de 13 % par rapport à l’an passé. Contrairement aux dernières ventes, c’est l’auctioneer américain et son total de 123,5 millions de livres (166,5 millions d’euros ), en hausse de 40 %, qui a damé le pion à Sotheby’s. « Il y a une explosion du marché de l’art contemporain, les résultats, toutes maisons confondues, sont excellents. Le marché est tiré vers le haut par quelques ventes spectaculaires, avec des records en quantité et une médiatisation importante », commente Frédéric Morel, conseiller en art.

Pour prendre le pouls du marché de l’art contemporain, le rendez-vous le plus attendu, le plus analysé et le plus médiatisé se trouve à New York. C’est là que les plus grands chefs-d’œuvre passent sous le marteau, que les plus grandes fortunes se pressent, et que, d’année en année, les montants se révèlent toujours plus astronomiques. Ces ventes cristallisent toutes les tendances actuelles d’un marché mondialisé, où la spéculation va croissant, soutenue par l’arrivée d’acheteurs issus des pays émergents. La session de mai n’a pas fait exception à la règle. Sotheby’s a totalisé 336,6 millions d’euros (379,6 millions de dollars), un montant en hausse de 4 % par rapport à 2014. Christie’s a quant à elle engrangé 658,5 millions de dollars, mais il n’est pas possible d’établir de comparaison, car la maison a opéré un changement important cette année avec le lancement de « Looking Forward to the Past ». Ce nouveau format de vente mélangeait des chefs-d’œuvre impressionnistes, modernes et contemporains, de Monet à Peter Doig en passant par Picasso [lire ci-dessus].

Au cours de cette semaine exceptionnelle, New York a ainsi réussi haut la main son pari, celui de faire absorber au marché une quantité très élevée de chefs-d’œuvre contemporains, et, en corollaire, de brasser des sommes d’argent jamais aussi importantes. « L’augmentation est à la fois en volume : il y avait beaucoup plus de pièces, mais aussi en valeur. La demande s’accroît mais tout le monde veut la même chose au même moment, donc les prix explosent », indique Frédéric Morel. Sans surprise, les vedettes avaient pour nom Warhol, Freud, Bacon ou Rothko (quand à Londres on retrouvait le même Bacon aux côtés de Gerhard Richter ou de Cy Twombly).

Fortes plus-values

Le phénomène de cette poignée d’artistes atteignant des montants astronomiques est révélateur d’un marché à plusieurs vitesses. « Le marché se cristallise autour des œuvres les plus importantes. Aujourd’hui, il est fait par les 100 ou 200 premiers artistes mondiaux et quelques émergents. Le passage du premier au second marché reste très difficile », rappelle Frédéric Morel. Laurence Dreyfus, conseillère en art, observait également fin mai : « Ces ventes ont montré qu’il y avait un réajustement vers des valeurs plus solides. On n’est plus dans la folie du contemporain des années 2010-2011, les acheteurs se dirigent plus vers des “classiques”. » C’est à New York encore que la dimension spéculative de l’art était palpable : on observait par exemple chez Sotheby’s la plus value de Dschungel (Jungle), une toile de Sigmar Polke, datée de 1967, qui a triplé son prix de vente en quatre ans, soit une plus-value de 17 millions d’euros…

On relevait encore à New York la longueur d’avance prise par Christie’s dans le domaine de l’art contemporain. Outre le dynamisme des équipes et les innovations apportées par le spécialiste Loïc Gouzer, le phénomène pourrait s’expliquer par le fait que, la société n’étant pas cotée en Bourse, elle peut bénéficier d’une marge de manœuvre plus importante et offrir une réactivité plus grande. Elle peut ainsi proposer des garanties en nombre aux vendeurs (plus de 50 % des lots de la vente du soir), qui lui permettent de remporter des œuvres ; cependant, ces garanties font courir un risque à la maison et réduisent potentiellement son profit.

De son côté, Paris a bénéficié de la tendance avec de beaux succès, à la fois pour Christie’s qui a presque doublé son montant de 2014 (17,8 millions d’euros) et pour Sotheby’s qui a atteint son plus haut total pour la capitale (24,1 millions d’euros). « La progression de l’art contemporain est considérable. Mais la question que tout le monde se pose est : que va-t-il se passer demain après les envolées ? Est-on en début ou en fin de cycle ? », s’interroge Frédéric Morel.

Eléonore Thery

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